‘’Le football doit faire sa mue pour bien s’intégrer au monde du travail’’ – Julien PIERRE
Parce qu’il a joué, individuellement et collectivement, au badminton, handball, football, volleyball et au tennis, Julien PIERRE sait ce que le terme ‘’pratique du sport’’ signifie et induit.
Son passé sportif lui est particulièrement utile quand il s’agit pour lui d’enseigner et d’offrir à ses étudiants une formation complète sur les Sciences et techniques des activités physiques et sportives.
Julien PIERRE est Maître de conférences à la Faculté des Sciences du Sport de Strasbourg. Parmi ses écrits reconnus sur ce thème du sport en entreprise, Il a écrit ‘’Le sport en entreprises – Enjeux de sociétés’’ un ouvrage préfacé par Stéphane DIAGANA. Mais il a aussi collaboré à différents rapports, revues, articles, travaux universitaires, études sans oublier les nombreuses conférences dans lesquelles il apporte son témoignage et sa vision.
Ses recherches portent principalement sur les activités physiques et sportives dans le monde du travail : usages, effets et ressorts de la mobilisation.
Dans ce domaine, Julien PIERRE fait référence. Nous nous sommes permis de le contacter avant de le rencontrer lors du dernier Salon Pep’Sport à Paris pour recueillir son ressenti sur l’intérêt du sport (et bien sûr du football) en entreprise et surtout pour savoir comment il perçoit l’éventuel futur positionnement des Fédérations nationales, par exemple celle de Football, vis-à-vis des entreprises, de leurs décideurs et surtout de leurs salariés.
L’UNFE le remercie sincèrement pour cette précieuse contribution qui pourrait servir de base à une réflexion du groupe de travail LFA/UNFE dont la prochaine réunion aura lieu mardi 17 Octobre.
Julien PIERRE
1 – Les sports collectifs ne sont-ils pas plus intéressants a priori que les sports individuels pour la pratique en entreprise ?
Julien Pierre : Même s’il faut reconnaître que certaines pratiques sportives en entreprise sont fondamentalement individuelles (certains collaborateurs partent courir sur un tapis, avalent un sandwich avant de retourner travailler), il faut à mon avis penser les choses autrement qu’en attribuant une logique individualiste aux sports individuels et des vertus socialisatrices aux sports collectifs. La réalité est plus nuancée. On peut faire un sport d’équipe et être parfaitement égoïste. Ceci étant, dans l’univers du travail, il est intéressant de constater que les effets les plus bénéfiques de la pratique sportive s’observent essentiellement – et simplement – au niveau de communautés de collègues sportifs. Qu’il s’agisse d’un sport individuel ou collectif, l’essentiel est qu’ils partagent une activité, se regroupent, échangent dans un autre cadre que celui purement professionnel. C’est le cas dans nombre de « running teams » et a fortiori dans des groupes de collaborateurs s’adonnant à des sports collectifs. Grâce au sport, des communautés alternatives au travail se créent, permettant de passer de relations effectives à des relations affectives.
2- Quels sont selon vous les principaux avantages du sport collectif pratiqué régulièrement dans l’entreprise ?
J.P. : Ils sont multiples et bien évidemment plutôt positifs. En dehors de ceux que nous venons de citer sur le lien social, citons d’abord l’amélioration de la santé physique et mentale des collaborateurs : modérément pratiqué, le sport a des effets sanitaires qui ne sont plus à démontrer. Dans une société où la question de la santé publique devient cruciale notamment avec le développement de la sédentarité, la contribution des entreprises pour faire bouger les salariés est de plus en plus attendue. Les sports collectifs jouent aussi, en tout cas a priori, sur l’intégration et la cohésion des équipes.
Parfois, même si c’est souvent romancé par la presse, des confrontations balle au pied donnent l’occasion de renverser une hiérarchie professionnelle établie. Au moins le sport permet d’atténuer les frontières statutaires dessinées par l’organigramme.
Disposer d’équipes en interne est enfin un bon moyen pour une entreprise de nourrir son image de « best workplace » et de renforcer, même modestement, son attractivité. Au final, tous ces bénéfices ne sont pas sans lien avec la productivité !
3- Pensez-vous que les 600 clubs de Football Entreprise puissent avoir un rôle de soutien, par leurs compétences et leurs réseaux, au développement de nouvelles pratiques et donc à l’amélioration du lien social ?
J.P. : J’ai toujours pensé – et c’est l’accumulation de mes recherches qui me le faire croire – que les chevilles ouvrières du développement du sport au travail d’aujourd’hui et de demain sont les salariés « ordinaires ».
A ce titre, le club d’entreprise est un maillon essentiel dans la promotion de l’activité au sens large, dans le monde du travail mais pas uniquement. 600 clubs, c’est un peu moins de 10% de l’ensemble des clubs d’entreprises toutes disciplines confondues en France, ce n’est donc pas rien.
4- Comment la FFF peut, aujourd’hui, attirer le public des entreprises ?
J.P. : En évitant de copier / coller les modèles traditionnels de la pratique sportive. Le monde du travail est atypique. Les besoins des salariés ne sont pas les mêmes que dans le football civil. Le football doit faire sa mue pour bien s’intégrer au monde du travail. Il doit se métamorphoser. Accepter de faire bouger les lignes, au sens propre comme au sens figuré. Adapter les espaces de pratique mais aussi les règles pour favoriser la mixité et les équipes intergénérationnelles.
Pour ne prendre qu’un exemple, le foot-golf apparaît comme une alternative ludique appréciée d’entreprises en quête de team building. Ainsi, pour mieux percer la carapace de l’entreprise – dont la rigidité est liée aux représentations parfois poussiéreuses de la FFF et plus généralement du mouvement sportif – il faudra travailler son image, notamment en lui donnant une touche innovante. Il n’y a pas de raison que la FFF ne reste pas une formidable locomotive du développement du sport en France !
5- Comment voyez-vous l’avenir du sport en entreprise ?
J.P. : Ce n’est pas évident d’avoir une idée précise mais, clairement, quelques pistes se dégagent actuellement et il n’y a pas de raison de penser qu’elles ne vont pas se déployer dans les années à venir. Il y a d’abord toute une tendance à la digitalisation du sport en entreprise : applications dédiées, start-ups qui apparaissent récemment avec de nouvelles offres de services ludiques, challenges connectés, etc. Résolument, la pratique sportive au travail se gamifie ! Pour preuve, la création cette année de la Team Loco, la première véritable équipe e-sport d’entreprise impulsée par VoyagesSNCF.com.
Un championnat de e-sport en entreprise vient d’ailleurs d’être lancé. On repère ensuite une tendance au cocooning qui est ni plus ni moins que le reflet du management moderne. « On s’occupe de vous », tel pourrait être le claim de bon nombre de DRH.
Les collaborateurs des grandes entreprises bénéficient depuis quelques années maintenant de services dignes d’un hôtel étoilé. Le témoin de cette évolution notable : l’arrivée des Chiefs Happiness Officers qui régalent les médias. Ces responsables du bien-être sont notamment chargés de créer des environnements favorables et propices à la pratique d’activités physiques. Enfin, citons ces initiatives qui se multiplient depuis plusieurs années notamment aux États-Unis. Outre-Atlantique, c’est le cas chez Casper, on délivre une prime aux salariés s’ils pratiquent assidument une activité sportive en interne.
Oui, une prime ! Payer pour jouer au foot avec ses collègues ? Il n’est peut-être pas nécessaire d’en arriver là pour que le football-entreprise se développe…
Entretien : Julien PIERRE et Daniel TESTE
Photo et éléments extraits de :
http://f3s.unistra.fr/
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