L’EVOLUTION DU FOOTBALL CORPORATIF D’APRES-GUERRE (1919-1939)
La Grande Guerre éclate. Près de 200.000 joueurs sont alors licenciés en France pour plus de 2.000 clubs. À l’ouverture du conflit, nombre de clubs cessent leurs activités, leurs joueurs étant partis au front. La Grande Guerre marque profondément notre pays. La France est victorieuse mais exsangue. Les imposants monuments aux morts érigés par les clubs à la mémoire de leurs membres tombés au champ d’honneur témoignent de l’hécatombe d’un pan entier de la jeunesse du pays.
Les clubs disparaissent, mais ceux à vocation corporative, et qui partagent les mêmes compétitions que les clubs municipaux, sont moins touchés et pour cause, puisqu’une fois la guerre terminée, il faut faire face à la reconstruction, dont il faut employer de la main d’œuvre et de ce fait, les entreprises possèdent un matériel humain propre à développer le football en leur sein.
Les Ligues régionales se créent à l’initiative des clubs, souvent sur les ruines des comités régionaux de l’U.S.F.S.A. La Ligue du Nord est la première fondée en 1918. En 1921, 18 ligues régionales se partagent le territoire national. Les championnats de Division d’Honneur qu’elles organisent permettent l’émergence de nombreux clubs cultivant les rivalités locales.
Néanmoins, Les clubs à caractère corporatif défrayent rapidement la chronique et les clubs « civils » demandent leur retrait des compétitions. La Fédération tranche en interdisant les noms à caractère corporatif. Donc c’est la raison pour laquelle, comme écrit précédemment, que le Club Athlétique de la Société Générale devient Club Athlétique des Sports Généraux. Toutefois, rien n’interdit à une entreprise ou à un groupe d’entreprises de soutenir un club : Peugeot à Sochaux ou Casino à Saint-Étienne, notamment. Pour les clubs refusant cet abandon d’une partie de leur identité, des compétitions corporatives sont mises en place.
Le football corporatif de cette époque s’ implante dans les régions à forte population industrielle. Ainsi, outre la Région Parisienne, la Normandie est un pôle du sport corporatif et social. En raison même de l‘après guerre et de la ré-industrialisation des deux grands sites portuaires que sont Rouen et Le Havre, la Normandie connaît une démographie galopante, la main d’œuvre étrangère venant notamment aider d’une part à la reconstruction, et d’autre part, à ce besoin d’étoffer les effectifs des zones portuaires.
La Vallée de la Seine voit sortir de terre une foultitude d’usines (pétroles, gaz, chimies, industrie lourde). Pour la petite histoire, cette Ligue était la seconde de France au plan du football corporatif, avec des clubs célèbres de l’époque : Masselin Brûleurs Francia, RC Port du Havre, Tréfileries du Havre, Lozao…Au fil des années d’après-guerre, des championnats régionaux sont mis en place, dont l’organisation laisse à désirer, mais l’essentiel est ailleurs. Il s’agit plutôt de rencontres que de compétition. Néanmoins, dans un souci d’élargissement de l’intérêt sportif et dans une volonté d’échanges, la Fédération Française de Football met en place la première édition de la coupe nationale corporative au cours de la saison footballistique 1923-1924 et le premier vainqueur est l’ECFM Gennevilliers.
A cette époque, seules quelques équipes, dont les entreprises ou sociétés peuvent se glorifier d’effectifs conséquents sont capables d’inscrire leur nom au palmarès de cette épreuve : l’US Bon Marché, l’US Métro, le Guaranty Club, Dunlop Sports, Usines Chausson, AS Auto Peugeot Sochaux. Le football corporatif épouse historiquement l’effort de reconstruction à travers ces exemples. Le sport, les rares loisirs, sont le prolongement de l’activité professionnelle. Peu s’en écartent pour des raisons évidentes.Entre les deux guerres, bon nombre de clubs d’entreprises voient le jour.
En l’absence de toute forme d’aide des municipalités dont l’unique souci est la reconstruction sociale, les clubs libres, bien qu’existant, ont des difficultés à fonctionner notamment dans les zones à vocation rurale, par manque de moyens mais aussi par manque de joueurs.
L’arrivée du professionnalisme en 1933 change cependant la donne, et promulgue de manière plus importante le football libre des associations. Du coup certaines équipes corporatives disparaissent pour laisser la place aux clubs municipaux, notamment dans les villes moyennes, là où l’usine est souvent la principale source de travail. Cependant, les prémices d’un second conflit occupent de plus en plus les esprits et si le football professionnel trouve une première jeunesse, le football de base lui, stagne, face à la montée des périls. Après quelques années, la seconde guerre mondiale éclate et les soucis sont ailleurs. C’est surtout le régime de Vichy qui va faire tenter disparaître le sport corporatif.
Rédacteur : Bernard DUCELLIER (et Daniel TESTE)
Photos : Daniel TESTE